Ah encore du vinaigre balsamique ! Mais cette fois-ci pour compléter le cadre après mon article sur le vinaigre balsamique de Modène Igp et afin de ne pas trop s’emmêler les pinceaux, je vous présente sa version la plus ancienne et de luxe le vinaigre balsamique traditionnel de Modène (protégé par une AOP et le Consortium, un peu comme le parmesan). Mais qu’est-ce que c’est ? Comment est-il produit ? Quelles origines ? Je vous dit tout, suite à mon voyage sur place 🙂
J’imagine que la plupart d’entre vous n’ont pas eu l’occasion d’y goûter, il est rare et cher. Et on le déguste par petites gouttes en finition sur des mets (je l’aime beaucoup aussi seul à la petite cuillère hi hi). Il s’agit d’une de ces perles italiennes qui existent depuis des siècles, qui n’est produite nulle part ailleurs, une alchimie, une magie à découvrir et à préserver.
Qu’est-ce que le vinaigre balsamique traditionnel de Modène ?
Il s’agit d’un vinaigre unique et précieux à la saveur douce et complexe produit dans la région de Modène et de Reggio Emilia (en Italie, en Emilie-Romagne). Il est composé uniquement de moût cuit de raisin et affiné dans plusieurs fûts de bois différents et de différentes tailles (je vous explique dans les détails plus bas) au moins 12 ans ! D’où le goût, la rareté et le prix.
Pour avoir visité les chais (magnifiques dans leur “nudité” !) c’est extrêmement simple et profondément artisanal. Que des fûts… et souvent un parfum d’antan.
Origines et histoire
Je vous avais raconté lors de mon article tout savoir vinaigre balsamique de Modène Igp (celui de notre quotidien) que le fait de faire cuire le moût (en fait plutôt pour pouvoir le boire comme un vin 😉 était un procédé qui existait déjà au temps des Romains. Et qu’ils s’étaient rendus compte que le fait de le faire reposer dans des fûts dans la région de Modène et Reggio Emilia donnait du vinaigre mais surtout un produit exceptionnel qu’on n’arrivait pas à retrouver ailleurs.
Mais ce n’est qu’à la cour des Este que l’on parle pour la première fois de vinaigre balsamique. Pendant toute la renaissance (XVIème siècle) et bien au-delà, ce produit est utilisé comme médicament ou en dégustation par la noblesse ou les classes les plus aisées. Sa renommée devient européenne, on les offre aux princes, diplomates, ducs, papes… Il existe même quelques documents qui témoignent des différents usages de ce vinaigre.
La légende raconte aussi qu’au XIXème siècle le Conte di Cavour hautement fasciné par ce produit ordonna que plusieurs batterie (l’ensemble des fûts nécessaire pour l’affinage) soit transférées chez lui dans le Piémont… mais le vinaigre tourna. Vexé il demanda à un avocat de Modène de lui transmettre par écrit tous les secrets de fabrication… et cette lettre écrite en 1863 devint le premier document écrit détaillé et formel sur la fabrication du vinaigre balsamique traditionnel (jusqu’ici le savoir-faire était transmis de famille en famille oralement).
Traditions, éloge de la lenteur
Comme je vous disais ce vinaigre si unique et précieux est né chez les familles aisées et bien sûr dans la haute aristocratie. Mais à l’origine sachez que c’est une tradition familiale : à la naissance de chaque fille on entamait le processus en mettant en barrique (la fameuse batteria composée de plusieurs fûts de différentes dimensions) le moût de raisin qui aurait reposé jusqu’à son mariage (autour de 25 ans 😉 dans le grenier ou en tous cas sous les toits (détails important pour le l’affinage du fait des écarts de températures). Le tout était ensuite offert en dot. C’est pour cela que le vinaigre balsamique traditionnel était affiné 25 ans.
Procédé de fabrication
Il est très particulier, artisanal, extrêmement local et ne peut être fait sur échelle industrielle. D’où la petite production et les prix. Personnellement, je trouve que cela en rajoute à son charme. Dans un société si technologique et à deux mille à l’heure, j’aime quand il existe encore des produits ainsi, intrinsèquement locaux, qui demandent beaucoup de temps et un savoir-faire séculaire.
- Type de raisin : le vinaigre balsamique traditionnel ne peut être produit qu’avec certains raisins (sept cépages) cultivés localement : Trebbiano, Lambrusco, Sauvignon, Ancellotta, Sgavetto, Berzemino, Occhio di Gatta
- Moût : comme pour le vinaigre balsamique classique, après les vendanges en début d’automne, le moût est cuit mais ici lentement jusqu’à 24h-48h de manière à développer des arômes et à ce qu’il réduise de 2/3
- Mise dans des fûts : là réside une des plus grandes particularités de ce produits. Les fûts sont en général sept (bon après chaque producteurs peut choisir mais il vaut mieux en avoir plusieurs) tous de dimensions différente et la plupart du temps composé aussi de bois différents (cerisiers, chêne, châtaignier, hêtre…) afin d’avoir encore plus de richesse de parfums. Mais à chaque producteur de trouver sa formule idéale. On utilise si possible des fûts vieux et déjà utilisés afin d’avoir la flore précieuse. Et si l’un d’eau se fend, on en contruit un autre au-dessus (et on garde le vieux en-dessous comme une poupée russe).
- Ordre : quand on commence de zéro (ce qui est extrêmement rare tant le produit est ancien et ne périt jamais), on met le moût dans le fût le plus petit qui a une ouverture sur le haut que l’on recouvre avec un linge. Puis on remplit les autres fûts de plus en plus grands de moût de raisin (on parle de batteria di testa pour le plus grand et di coda pour le plus petit)
- Climat : ce qui est très particulier (comme souvent pour nombre de produits comme le jambon de Parme par exemple ou nombre de fromages) est le micro-climat, humide notamment et surtout chaud en été. C’est ce qui va faire en sorte que d’une part une partie de l’eau va s’évaporer doucement en concentrant le moût et d’autre part la prolifération de micro-organismes uniques et nécessaires à la fermentation (ils ont la bonne température et taux d’humidité).
- Affinage : une fois que l’on a mis le moût dans les fûts on le laisse reposer un an et on intervient plutôt quand les premiers froids arrivent et le produit est plus “endormi” : on rempli à nouveau le plus petit fût qui a perdu du volume du fait de l’évaporation (jusqu’à 20-25%) avec le moût du fût juste à côté un peu plus grand. Et ainsi de suite. Le but : que le dernier petit fût soit toujours rempli. Ceci se répète chaque année (et on ajoute du nouveau moût cuit dans le fût plus grand sinon tout finirait par se vider ;-).
- Douze ans après : le premier vinaigre peut être prélevé du plus petit fût douze ans après. En fait, comme je vous disais à l’origine c’était 25 ans mais après des analyses on s’est rendu compte qu’il avait déjà toutes les qualités après douze ans. Mais on peut aussi attendre plus longtemps tranquillement. Sachez qu’il se conserve à l’infini (ou presque) même un siècle !
Mise en bouteille et deux types de vinaigre balsamique traditionnel
Une fois sorti du fût, le vinaigre est analysé de tous points de vue par le Consortium (chimique, organoleptique). S’il donne son approbation, il peut être mis en bouteille (fournies par le Consortium et même de design de Giuggiaro 😉 avec le symbole et les étiquettes officielles.
Vu que l’on ne peut indiqué le temps exact d’affinage (cela pour nombre de produits d’ailleurs et qui n’est pas nécessairement synonyme de meilleur), vous avez deux types de vinaigres balsamique de Modène : l’un d’au moins de 12 ans appelé simplement “Tradizionale” (étiquette argentée) et l’autre affiné 25 ans ou plus appelé “Tradizionale extra vecchio” (étiquette dorée)
Comment le déguster, saveurs et prix
La saveur est très difficile à décrire, un peu un umami 😉 (d’ailleurs les japonais en raffolent) assez complexe avec un équilibre entre la douceur, l’acidité mais aussi d’autres arômes.
On ne le cuit jamais (oh sacrilège !) mais l’ajoute en finition sur du fromage (grand classique avec le Parmigiano Reggiano affiné de 24 à 36 mois) sur une glace comme le fiordilatte, une viande, des fruits, un risotto (au fromage par exemple)… La petite perle précieuse.
Pour le prix il part de 60 € et vous ne pouvez avoir que des bonnes surprises, ils sont tous très bons (après il y a toujours des meilleurs), très qualitatifs vu la micro-production, le savoir-faire et les contrôles. Pas de risques. Par contre, si vous n’êtes pas sûr de savoir l’apprécier (moi-même j’ai mis du temps) à vous de voir si cela ne vaut la peine.
Bonjour Edda,intéressant reportage sur le vrai vinaigre balsamique! Merci pour ces précieux renseignements!
Lorsque le goût est un umami,c’est parfois indescriptible,et c’est souvent un goût qui plaît 🙂
Merci ! Oui 🙂
Bonjour Edda, Comme vous je suis aixoise d’adoption. Je connais le vinaigre balsamique (le vrai) depuis longtemps, j’en raffole. La dernière précieuse petite bouteille, je l’ai ramené l’année dernière de Rome, plus une goutte. Cela nous manque, quelques gouttes sur les avocats, sur le risotto, etc… Peut-être avez vous une adresse aixoise à me chuchoter ?
Merci beaucoup. Ah oui, magnifique reportage, merci. A bientôt Brigitte Bernier
Mille merci pour le message ! Je n’ai pas encore cherché sur Aix, je vous dirai…
Bonjour Edda,
Peut on en trouver en France ?
Merci
Bonjour Francky,
Oui bien sûr (et dans le monde entier) plutôt en épicerie fine ou sur le net.
Vous me direz ?
promis 😉
Bonjour Edda,
Cet article est super intéressant, merci beaucoup !
Peter
Merci à vous, ravie qu’il vous intéresse !!
Vous confondez vignoble et cépage !
Oui oups, c’est un italianisme (vitigno qui signifie cépage), je rectifie 😉
Superbe reportage, grâce à toi, je vais être incollable sur le vinaigre balsamique.
Je n’ai jamais eu l’occasion de goûter ce superbe vinaigre mais j’en ai beaucoup entendu parlé et en te lisant je me dis qu’il va falloir combler cette lacune.
Un grand merci pour le message ! Ravie pour la découverte 🙂